24.11.11

L'Église et la Synagogue


Raphaël, Freddy. L'Église et la Synagogue, l'évolution du thème, ASIJA, Alsace-Lorraine (2010).

On assiste à une dégradation progressive de l'image de la Synagogue du début à la fin du Moyen Âge.

9e et 10e siècles. Ivoires messins. Les premières représentations de l'Église et la Synagogue sous la forme de deux personnages féminins allégoriques figurent, sur des crucifixions taillées dans des plaques d'ivoire à Metz, durant l'époque carolingienne. Sur ces ivoires, la Synagogue, vêtue comme l'Église et sans aucun signe d'infériorité, s'éloigne du Christ avec dignité, tenant droit son drapeau et relevant la tête. On ne décèle aucune marque d'hostilité. La signification est claire : le Christ est victorieux ; la mission de la Synagogue s'achève ; elle doit céder sa place à l'Église.

1185-1195. Hortus deliciarum. Aux 12e et 13e siècles, siècles des croisades, la prédication exalte les sentiments religieux. Elle met l'accent sur la Passion du Christ dont la responsabilité est imputée aux Juifs. Ils subissent persécutions et massacres. Dans les œuvres d'art, la défaite de la Synagogue devient un thème récurrent. Sur une miniature de l'Hortus deliciarum, ouvrage composé à la fin du 12e siècle par Herrade de Landsberg, l'Église couronnée, regardant le Christ, serrant d'une main le calice et de l'autre la hampe crucifère de son étendard, est montée sur un animal fabuleux, le tétramorphe, synthèse des quatre êtres évangéliques. En face d'elle, la Synagogue, assise sur un âne rétif, incline sa tête et la détourne ; elle est aveuglée par sa coiffe abaissée, elle tient dans ses mains un bouquetin et un couteau (symbole des anciens sacrifices ? ou de la circoncision ?) ; son drapeau traîne à terre.

1225-1235. La Synagogue et l'Église du double portail sud de la cathédrale de Strasbourg. La Synagogue aux yeux bandés est vaincue. Elle est découronnée ; sa lance porte-drapeau est plusieurs fois brisée ; les tables de la loi échappent de ses doigts ; comme la Synagogue de l'Hortus, elle baisse la tête et la détourne de l'Église victorieuse dressée en face d'elle, tenant le calice et la hampe crucifère de son étendard. Entre les deux portails se trouve une statue du roi Salomon. Le Pilier du Jugement dernier, dit Pilier des Anges, situé à l'intérieur du transept sud complète cet ensemble de sculptures dominé par l'idée de jugement.
On insiste souvent sur la beauté de la Synagogue, remarquable aussi pour d'autres œuvres de la même époque. Il s'agit, sans doute, d'une allusion au destin de la Synagogue nullement condamnée à jamais, mais élue de la fin des temps quand elle rejoindra le Christ.

1285. La Synagogue au serpent. Cinquante ans après les ouvrages du portail sud, d'autres statues de l'Église et de la Synagogue sont sculptées à la cathédrale de Strasbourg, cette fois au tympan du portail central de la façade occidentale. Ces figures, marquées par leurs illustres modèles du croisillon méridional, comportent toutefois, une différence notable : le bandeau est remplacé par un serpent enroulé autour de la tête de la Synagogue, afin de suggérer une origine diabolique à son aveuglement.

14e et 15e siècles. Bibles historiées. La diabolisation de la Synagogue ira en s'accentuant aux 14e et 15e siècles. Sur une miniature d'une Bible historiée du 15e siècle provenant de Haguenau, la Synagogue porte sur ses épaules un diable noir, velu, cornu et griffu, qui l'aveugle de ses mains. Ainsi perché, il peut aussi lui commander beaucoup de mauvaises actions. La Synagogue est devenue un agent de Satan…



Paris, Centre de Recherches Historiques, "Ecclesia et synagoga: soeurs, amies, ennemies", conférence par Miri Rubin, 16 de avril de 2015.



Miri Rubin, Professeure d’histoire médiévale et directrice de l’École d’histoire au Queen Mary University de Londres, interviendra sur l’émergence historique des termes ecclesia et synagoga qui sera examinée comme une représentation des relations du christianisme et du judaïsme à travers l’utilisation de deux figures féminines. Peut-être inspiré par un texte du Ve siècle, le thème apparaît dans les scènes de crucifixion sur des couvertures de livres en ivoire, avant d’être repris dans d’autres médias associés à la liturgie au cours des siècles suivant, puis associé à l’art monumental des façades des cathédrales d'Europe du Nord au XIIe siècle. Alors que la plupart des recherches menées sur ce thème s’achèvent sur les représentations majestueuses des cathédrales de Reims, Strasbourg ou Bamberg, il s’agira d’aller plus loin dans le temps, car après 1350 environ, la paire traditionnelle sera rejetée au bénéfice de nouveaux arrangements inédits.