25.11.11

Les juifs dans l’art chrétien médiéval


"Judei"
Nadia Darmon : Jean-François Faü, L’Image des Juifs dans l’art chrétien médiéval, Maisonneuve & Larose, 2005. L’art inspiré par les moines a livré au fil des siècles, des représentations allégoriques des Juifs, du Judaïsme, et de la Synagogue que l’on retrouve dans les églises, les cathédrales, les abbayes, les manuscrits, les ivoires, etc. Ces représentations de l’art médiéval mériteraient d’être mieux connues [... et] dans cet ouvrage Jean-François Faü restaure le sens donné à ces représentations que le sens commun a oublié.
[...] La représentation du Juif et du Judaïsme dans l’art chrétien subit des modifications au fur et à mesure que l’Eglise asseoit son pouvoir et étend son influence aux souverains européens. Les artistes du Moyen Age épousent le mode de pensée religieux inspiré par les clercs, et reflètent dans leur art une expressivité et un symbolisme propres à éduquer les esprits dans une vision christique des écritures. Il en fut de même de la vision christique du Judaïsme et des Juifs ; les représentations narratives utiliseront des thèmes majeurs selon le message et la pensée que l’Eglise voulait insuffler à toute la chrétienté. Elle intègre en son début la judéité des Pères de l’Eglise et la royauté de la Synagogue, elle exprime que les Juifs sont dans l’erreur et l’aveuglement et qu’ils sont lents à le reconnaître, elle placera les Juifs toujours en Enfer et les assimilera au démon et par voie de conséquence, à tous les vices de la société, puis exprimera sa répulsion…etc.. L’art médiéval portera le message antijudaïque de l’Eglise, et portera aussi sa part de responsabilité dans l’éducation des consciences occidentales, avec toutes ses conséquences funestes à l’égard des Juifs d’Europe.
L’art chrétien utilisera pour cela, le symbolisme et l’allégorie aujourd’hui difficile à reconnaître [...]. Jean-François Faü précise dans son ouvrage remarquable que les autres groupes communautaires comme les Morisques d’Aragon, les Cathares du Languedoc ou les Cagots du Béarn ne donnèrent pas lieu à des représentations dans l’art chrétien ; elles n’entraient pas dans la logique d’affirmation de l’Eglise et ne se référaient à aucun héritage antérieur au christianisme, ici en l’espèce…. « L’identité du « vrai Israël » était en jeu. »
1) Trois périodes distinguent l’esprit des représentations : A) La période Carolingienne, notamment sur des ivoires et manuscrits, B) Du X° au XII° siècle, dans l’art roman, C) La Renaissance, dans l’art gothique à partir du XIII° siècle.
A) De l’art Carolingien à l’art roman
1) Un héritage de Rome : Bien qu’une inscription de 139 av. èc. mentionnât l’expulsion des Juifs de Rome, sous l’accusation de prosélytisme, Rome comptera un siècle plus tard des milliers de Juifs [1] , esclaves affranchis ils auront le statut de Citoyens de l’ Empire, intègreront l’armée romaine, possèderont leurs synagogues [2] et leurs catacombes [3] . Ainsi, lorsque les armées romaines entrent en Gaule, elles comptent parmi leurs rangs de nombreux soldats, mercenaires et marchands juifs, tous Citoyens romains.
Sous les Mérovingiens et les Carolingiens dont les territoires sont désignés du nom de Septimanie, hors du territoire Wisigothique, il n’y a pas de volonté de mise à l’écart des Juifs ; les Juifs conservent leur statut qui leur confère une large autonomie judiciaire et religieuse ; ils peuvent posséder des terres et les cultiver, porter les armes, monter à cheval, ouvrir des échoppes sur la place publique, circuler et fréquenter les chrétiens et les employer. Les missi dominici font déplacer les jours de marchés du samedi à un autre jour. De leur côté, des chrétiens assistent volontiers aux offices à la Synagogue et un certain nombres se convertissent [4]. Jusqu’au début du XI° siècle, le judaïsme exerce plutôt une attirance et un intérêt marqué de la part des chrétiens ; les moines vont apprendre l’hébreu, les écritures et les commentaires, auprès des rabbins afin de pouvoir lire dans le texte, comprendre par les commentaires le sens des textes bibliques. Ainsi verrons- nous au XII° siècle, le Comte de Champagne interroger Rabbénou Tam le maître des Tossafistes et petit-fils de Rachi. Ainsi, avons-nous retrouvé à Oxford [5] un manuscrit hébreu de Rachi de Troyes, annoté en latin par un moine.
Cette autonomie fut fixée par le texte dit « Le Cartulaire pour les Juifs » de Charlemagne (814). Ses descendants comme Louis le Pieux (814-840) ou Charles le Chauve (843-877) maintiendront cette politique, malgré les fulminations d’Agobard [6], Evêque de Lyon (813-840) et plus tard d’Amolon [7] , Evêque de Paris.
Les témoignages de l’art Carolingien peu nombreux à être parvenus jusqu’à nous, « comportent peu de stigmatisation du Judaïsme.. » ce qui procèderait d’une acceptation naturelle du Judaïsme dans la société occidentale. « Les quartiers réservés, judeira ou ghetto, ne correspondent encore à aucun schéma urbain. » Juifs et Chrétiens se fréquentent et parlent la même langue.
2) Le Juif dans l’Art roman :
Jusqu’aux premières expulsions du XIII° siècle, Jean-François Faü mentionne la présence de 100 000 Juifs dans les limites du royaume de France, soit « 40 000 dans les villes, 25 000 dans les bourgs et 35 000 dans les campagnes. »
Ivoire Carolingien
Les Ivoires Carolingiens annoncent déjà les représentations du XII° et XIII° siècle, l’Eglise est représentée par un personnage imberbe portant un calice, ce qui signifie que l’Eglise assure la continuité du Salut à travers les sacrements et l’eucharistie. L’étendard figure la victoire du christ et de sa résurrection. Marie figure la première croyante par devers les apôtres restés dans le doute.
Mais rien dans l’art roman ne distingue encore un Juif d’un Chrétien, aucune caricature, aucun signe diffamatoire ou discriminatoire, sauf à le représenter tel qu’il apparaît dans la société, dans son habit de l’époque et dans la vie quotidienne ; soit portant par exemple le chapeau pointu ou conique qui lui était néanmoins imposé et qui le caractérisait notamment en Italie ou en Rhénanie à cette époque, mais pas encore dans le royaume de France.
« Les artistes romans ont essayé, et réussi, à réinventer la sculpture historiée au service de l’expression biblique. » Ce sont les moines qui étaient les inspirateurs de ces représentations, s’agissant des scènes bibliques datant du XI° et XII° siècle, les personnages sont habillés à la mode de l’époque. Les personnages Juifs de l’Ancien Testament ou indifféremment du Nouveau ne portent aucune caractéristique vestimentaire, ni de représentation infâmante liée à une catégorie de personnages.
Quelques unes des œuvres romanes « positives » mentionnées par Jean-François Faü :
Portail de l’abbatiale de Moissac, Tarn et Garonne,
St Pierre de Moissac : Jérémie au trumeau porte une longue barbe de prophète, et Isaïe.
Ste Marie de Souillac dans le Lot : Isaïe porte une barbe,
Eglise de Bagas (Gironde) : David est en pâtre, Goliath en cotte de mailles,
Abbatiale de Conques en Aveyron, Isaïe porte un phylactère,
Tympan de l’Abbatiale de Conques : la Jérusalem céleste à gauche du tympan, des vieillards barbus tiennent un rouleau de parchemin. [8].
Eglise de Saint-Zénon de Vérone en Italie, sur les portes de bronze, des scènes de l’Ancien Testament, Abraham…
Eglise de Freckenhorst en Westphalie en Allemagne : la Nativité avec St Joseph portant le chapeau conique caractéristique du XII° siècle sur les fonts baptismaux de l’Eglise.
Plaques émaillées de Nicolas de Verdun à Klosternenburg en Autriche (1180),
Daniel
Vitraux de 1130, dans la Cathédrale de Augsbourg, les trois prophètes Osée, Daniel, Jonas portent le chapeau des juifs.
A Berghausen, en Westphalie, une fresque représente Moïse porte la mitre devant les douze Anciens d’Israël, tous coiffés du chapeau conique.
Le manuscrit de Zwiefalten [9] montre avec la même scène, celle de la circoncision de Jésus par un rabbin coiffé du chapeau des juifs, la vierge Marie et Joseph ici n’ont pas d’auréoles.
Notons également la Cathédrale de Ulm : Les bustes en bois sculptés des prophètes et des matriarches et personnages féminins bibliques.
3) La représentation de la Synagogue :
L’étendard tenu par la Synagogue figure la royauté d’Israël et de Juda. C’est seulement au XIII° siècle que l’étendard sera remplacé par une lance souvent brisée marquant la perte de la royauté.
Le bandeau sur les yeux du personnage féminin d’apparence royale qui figure la Synagogue, évoquerait selon Jean-François Faü, « le passage des évangiles où St Paul parle du voile de Moïse, en l’interprétant comme une incapacité d’Israël à comprendre le message de ses propres écritures en référence au mystère du Christ : « Leur entendement s’est obscurci. Jusqu’à ce jour en effet, lorsqu’ils lisent l’Ancien Testament, ce même voile demeure. Il n’est point retiré, car c’est le Christ qui le fait disparaître. Oui jusqu’à ce jour, toutes les fois qu’on lit Moïse, un voile s’est posé sur leur cœur. C’est quand on se convertit au Seigneur que le voile est enlevé. » (2Co3, 14-16) (…) ».
Quelques représentations illustrent cette interprétation paulinienne comme celle d’un vitrail de l’Abbatiale de Saint Denis ; le Christ couronne d’un calice l’Eglise de sa main droite, et enlève le bandeau des yeux de la Synagogue portant un phylactère (symbole de la Loi), de sa main gauche.
Saint Denis
Ainsi, la Synagogue aura les yeux bandés, un étendard brisé, une posture qui tourne le dos ou détourne son regard de celui de l’Eglise, et parfois tiendra le porte éponge, substituée à Stéfaton.
Dans l’interprétation selon laquelle c’est le Nouveau Testament qui dévoile l’Ancien, l’art chrétien la figurera selon une idée de concordance des deux Testaments, laissant aux Juifs la possibilité d’accéder un jour futur au Nouveau. Nous sommes là dans la représentation positive de la « Concordia » de « l’Ecclesia et Synagoga » , posées à égalité, comme sur les enluminures de manuscrits et sur les ivoires de l’époque Carolingienne ; c’est le signe de l’espoir de voir la Synagogue reconnaître un jour son erreur.
Bibliothèque Municipale de Verdun
Le plus fréquemment, la représentation figure une Synagogue déchue et chassée par le Christ. On trouve également l’Ecclesia victorieuse debout sur le corps de la Synagoga [10] allongée et restant encore fière.
4) Avec le Concile de Latran (1215), la stigmatisation apparaît :
Notons que l’avarice représentée sur le Tympan de Sainte Foy de Conques (début du XII° siècle) n’est identifiable qu’à la bourse attaché à son cou, et placée en Enfer, mais non assimilée à une catégorie sociale particulière ou un groupe défini. En revanche dans la Cathédrale de Troyes, Le même vice est clairement identifié à un personnage qui porte la rouelle, donc Juif. Cette stigmatisation fait suite aux restrictions édictées par le Concile de Latran de 1215. La modification est majeure car elle annonce la diabolisation du Juif.
Le Décret du IV° Concile de Latran avalisé par le Pape Innocent III, fixe l’obligation de porter un signe distinctif, appliquée par des ordonnances royales : - La Rouelle en France - le Chapeau jaune en Allemagne - Les Tables de la Loi en Angleterre - « Ce texte visait à limiter la place des communautés juives et l’intervention des Juifs au sein de la Société (...). « A partir du XIII° siècle, l’axiome de l’antisémitisme médiéval va s’imposer : « vous ne pouvez plus vivre avec nous (...) si vous ne changez pas votre religion." [11]
Dès la première croisade (1096-1099), les communautés juives avaient été dévastées par des massacres et pogroms, par des vagues de rançonnage et de baptêmes forcés, par des bûchers ; ainsi les communautés de Mayence et Spire et bien d’autres qui furent anéanties…par les pieux croisés sur leur chemin vers Jérusalem …
Par ailleurs, Jean-François mentionne dans son ouvrage que : « L’introduction du Talmud de Babylone en Europe Occidentale avait été compris de l’Eglise catholique comme un instrument de combat et elle en fit une lecture totalement négative avant de chercher à le détruire. » (…) Le Manuel de l’Inquisiteur de Bernard Gui accuse le Talmud de blasphème à l’égard de Marie, dans lequel la virginité et l’origine filial du Christ est mise en doute. » Bûchers et autodafés brûleront des charretées de Talmud, notamment le « brûlement du Talmud », 1240, ordonné par Louis IX et suivi de l’expulsion des Juifs de Paris.
Les principaux édits d’expulsion : 1290, 1306, 1342, 1420, 1492 pour l’Espagne.
Il fallut rappeler par douze Conciles et neuf ordonnances royales, de 1215 à 1370, l’obligation du port de la Rouelle ou du signe distinctif et d’infamie à travers l’Europe, puisqu’il visait à marquer chaque Juif au même titre que les têtes de bétail. Soit que les Juifs tentaient de l’éviter en payant des dispenses, soit que des seigneurs éclairés ne l’appliquèrent pas (voir Henri II, Comte de Champagne). Cependant, là où elle fut observée scrupuleusement le fut bien dans le royaume de France ; Philippe le Bel y trouva une source de revenus, puisque la Rouelle était l’objet d’une vente à fermage annuel [12], mentionnée sur les livres des comptes d’où nous tirons l’information de leur application et de leur paiement. « Jean le Bon consentit à en modifier la couleur lors du rappel des communautés en 1361, elle devint alors rouge et blanche, perdant un peu de son caractère péjoratif. » En Catalogne, elle était rouge et jaune, aux couleurs du blason catalan.
Breviari d'amor
Jean-François Faü fait observer que les hérétiques étaient condamnés par les tribunaux à porter deux croix cousues sur le vêtement, en signe d’humiliation. Je fais observer à mon tour, que le signe distinctif fut ramené d’Orient par les croisés ; les musulmans imposèrent les premiers une marque cousue sur leur vêtement au Juifs et aux Chrétiens, marquant ainsi leur dhimmitude.
B) La représentation devient nettement négative dans une société sans Juifs :
« La Société chrétienne fixe au XIII° siècle le Juif comme l’archétype des maux que connaît le monde occidental à l’époque et le choisit pour assurer le rôle économique principalement que la Chrétienté refuse d’assumer par mépris, et le pouvoir temporel par incompétence. Dans ce processus d’expulsions successives, le Comtat Venaissin apparaît comme un refuge acceptable pour les Juifs du Languedoc et d’Espagne. L’Alsace et la Bourgogne pour les Juifs du Nord de la France qui sont accueillis sous conditions de paiement d’un péage par capitation. »
Saint Seurin, Bordeaux
1) La reine déchue devient une femme en haillon [13] ou en manteau noir : L’apparence royale de la Synagogue se modifie peu à peu, et devient une vieille femme en haillon , ou bien une femme en noire, une femme sans vêtements aussi qui s’arrache les cheveux [14] et plus tard une femme qui porte elle-même le porte-éponge de Stefaton, badigeonnant le corps du Christ de vinaigre. Le bandeau de tissu sera remplacé dans l’art gothique, par un serpent en référence au démon. [Eglise Saint Seurin de Bordeaux.]
2) L’aigle royal de St Jean : La représentation allégorique se poursuit et devient plus difficile à déceler pour le non initié ; ainsi, Marie représente toujours la première croyante et symbolise l’Eglise, quant à Longin le centurion romain, « le premier gentil à entrer dans l’Eglise ». Mais aussi surprenant que cela peut paraître, St Jean ou sa représentation sous la forme d’un aigle royal figurerait la Synagogue.
Antiphonaire de St Pierre
Jean-François Faü mentionne à cet égard, « une miniature dans l’antiphonaire de l’abbaye bénédictine Saint-Pierre de Salzbourg [15] qui nous montre, au pied de la croix, l’Eglise couronnée, élevant un calice, et la Synagogue voilée et se détournant du crucifié. Cette dernière tient à la main un joug, sans doute ici symbole de la Loi. Près de l’Eglise se tient Marie, près de la Synagogue, saint Jean ; faut-il penser avec Emile Mâle que la symbolique médiévale, qui fait de Marie le symbole de l’Eglise (…), va jusqu’à faire de Jean, le symbole de la Synagogue ? Malgré le récit évangélique où Jean laisse passer Pierre à l’entrée du tombeau vide au matin de la résurrection et le commentaire de saint Grégoire le Grand qui y voit le symbole de la Synagogue s’effaçant devant l’Eglise, on peut encore en douter [16]. » Sur le tympan du portail de l’abbatiale de Saint-Gilles dans le Gard, la synagogue qui perd sa couronne en forme de coupole du Temple de Jérusalem, est placée précisément derrière St Jean. Mais encore, Jean-François Faü nous fait découvrir une œuvre qui semble résumer toute la thématique du XII° siècle, « il s’agit d’une miniature de l’Hortus déliciarum d’Herrade de Landsberg (vers 1185) [17] qui représente la Crucifixion (…). La partie à droite montre l’Eglise, assise sur un animal fantastique dont les quatre têtes sont les symboles des Evangélistes ; couronnée, tenant haut l’étendard de la croix, elle recueille le sang de Jésus dans un calice ; en arrière, se trouvent le centurion romain, armé de sa lance, faisant allégeance au Christ, et la Vierge, nimbée, juste devant le bon larron dont le regard est tourné vers Jésus. En dessous, les élus ressuscitent dans une scène du Jugement dernier. Le côté gauche de la croix est centré sur la Synagogue que le texte dit « corrompue » : les yeux voilés, détournant son regard de Jésus, l’étendard traînant à terre, elle est montée sur un âne, [18] signe de son entêtement. Elle tient dans sa main droite le couteau de la circoncision et dans sa main gauche un écriteau qui porte « Et moi, je ne le connaissais pas » ; dans ses bras, un chevreau, symbole des sacrifices pratiqués au Temple et désormais abolis. En arrière, le porte éponge et Saint Jean se voilant la face, à côté du mauvais larron qui détourne son regard du Christ. Au pied de la croix se trouve la tombe d’Adam, un simple squelette. Au dessus des deux scènes, le voile du temple est déchiré en son milieu. Tout est dit dans un résumé théologique naïf mais tragiquement saisissant. »
Hortus déliciarum
J’ai cru pouvoir vérifier cette interprétation concernant Saint Jean, lorsque je visitai le Musée Hyacinthe Rigaud de Perpignan qui possède le Retable de la Loge de Mer (1480), qui représente un Moïse « cornu » et Adam, les prophètes d’un côté et les évangélistes de l’autre, on observe dans la partie supérieure gauche du retable, un aigle royal noir et auréolé dans un arrière fond lui-même obscur, faisant le pendant à un St Mathieu lumineux, muni d’un stylet. La note technique du retable mentionne bien qu’il s’agit de St Jean sous la forme de l’aigle, mais sa couleur noire sur fond noir renforce cette autre idée de figuration de la Synagogue ou du Judaïsme restée dans l’obscurité.
3) Représenter l’aveuglement ou l’abolition de l’Ancien Testament :
Le chevreau ou le bélier représentent les sacrifices du Temple de Jérusalem, abolis.
Les tables de la Loi représentées renversées comme à « Notre-Dame de Trèves »,
Près de la Synagogue, un Moïse « cornu » et un Aaron,
« L’attribut de la lance désigne la Synagogue (…) à partir de la première moitié du XIII° siècle. » Un motif populaire désignant le « déicide », mais aussi l’auteur cite Bernhard Blumenkranz qui le rapproche des accusations de profanations d’hosties. Rappelons que cet attribut dans l’art roman était utilisé par la personnification de Longin, le centurion romain, qui abrège les souffrances du Christ, ce motif bascule lorsque l’étendard de la Synagogue se brise et devient lance brisée ; il devient ensuite l’arme du crime et se transforme encore en arme de profanation …faut-il aller jusqu’à l’assimiler à un transfert de la scène de la lance qui transperce le Christ à celle de la représentation des accusations de meurtre rituel qui vont surgir à partir de 1144, et affliger les communautés juives de Norwich en Angleterre, de York et d’ailleurs ? Pur produit de l’imagination naïve des populations et perverties par des représentations conçues par des moines et des artistes chrétiens.
La Synagogue chevauche un âne, signe de son entêtement, sa couronne tombe de sa tête, un bandeau sur le visage, l’étendard est brisé, elle tient dans sa main droite la tête d’un bélier.[19]
Fribourg
En référence à « (...) saint Jean Chrysostome, le plus anti-juif des Pères grecs - la synagogue comme édifice fut dénoncée comme la demeure du diable lui-même. » Aussi, les représentations peu nombreuses existantes des édifices, reprennent ce thème dès le IX° siècle et le développent à souhait. [20]
Les porteurs de la Grappe de raisin (Nb 13, 23) ; symbole par excellence de la Terre d’Israël « où coule le lait et le miel », terre idéale et abondante pour le peuple Hébreu. « Les pères de l’Eglise ont vu dans cette grappe le corps de Jésus suspendu à la croix. Saint Augustin discerne dans les deux porteurs, les deux Testaments : le premier qui tourne le dos (...) symbolise le peuple juif ; » le second, fixe la grappe, « c’est l’image des païens qui se rallient au Christ. » Le reliquaire de la vraie croix de Tongres en Belgique, confirme cette allégorie puisque le premier porteur est coiffé du chapeau pointu.
L’évocation du prophète Zacharie, souvent porteur du candélabre à sept branches, et rappelant les huit visions selon lesquelles le christianisme y a vu l’annonce du roi messie.
La couleur jaune, « la couleur des méchants et des jaloux », qui distingue la toge portée par Judas de celles portées par les autres apôtres, sur le retable de Regensbourg visible au Musée d’art de Stuttgart.
C) L’art gothique :
1) Unité de style dans les sculptures du nord de l’Europe : Les œuvres dans les cathédrales d’Ile-de-France, de Champagne et des pays rhénans présentent à nouveau l’Eglise et la Synagogue en vis-à-vis, en deux femmes d’allure royale, aux attributs qui se différencient. Nommons Notre-Dame de Paris, la Cathédrale de Strasbourg…
Notre Dame de Paris
Attributs
Strasbourg
"Synagoga"
2) L’un des thèmes des plus meurtriers qui fut : le rapprochement du Juif et du démon, suite à une erreur de traduction ! A partir du XIV° siècle, le thème devient récurrent dans la Chrétienté et l’art s’en fait le relais. Jean-François Faü relève parmi les causes de cette association deux malentendus que l’art va aider à diffuser et à ancrer dans la conscience populaire : a) Le Moïse « cornu » : « (...) au livre de l’Exode (34, 29), il est écrit à propos de Moïse, « ils voyaient la peau de son visage rayonner ». Saint Jérôme, égaré par la racine hébraïque apparentée à geren , la corne, a confondu « rayonner » et « être cornu », et il a traduit dans ce qui allait devenir la vulgate latine : vdebant faciem Moysi esse cornutam. (« ils voyaient que le visage de Moïse avait des cornes. »)" [21] Tout récemment à Troyes, nous passions devant la « Maison Moïse » qui tient son nom d’un Moïse se tenant dans une niche d’angle de la Maison ; il est cornu. Choqués, la guide nous expliqua que c’était ainsi que les artistes matérialisaient la transfiguration de Moïse lors de son retour du Mont Sinaï. Nous lui répondîmes que c’est ainsi, que les Juifs furent assimilés au diable et furent l’objet de persécutions populaires. Il y a encore une vingtaine d’années, dans un petit village des Hautes Alpes, Le Chazelet, un brave paysan vint demander à un vacancier juif « à quelle heure de la nuit, les cornes apparaissaient-elles ? » b) Le Miracle de Théophile : -XIII° siècle- Très populaire, ce thème fut repris de nombreuses fois. Il s’agit d’un récit « esquisse de la légende de Faust ». « Théophile était vidame de l’évêque d’Adana, en Cilicie, il refusa d’abord la succession épiscopale puis voulut reconquérir cette dignité. A cette fin, il alla consulter un magicien juif, prêt à vendre son âme au diable pourvu qu’il lui obtienne ce qu’il désirait, ce qui fut fait. Torturé par le remords, il implora la Vierge Marie qui arracha le parchemin au démon et lui rendit son âme." [22] Ce récit est évoqué « au tympan de la porte du cloître et à l’extérieur, sur un relief du mur nord de l’abside, à Notre-Dame de Paris. On le trouve aussi à la cathédrale Saint-Jean de Lyon, dans les vitraux de Chartres, Laon, Beauvais, Le Mans, Auxerre, Clermont-Ferrand et Lincoln » c) « Le Breviari d’amore », (1288) œuvre du troubadour bittérois [23] Matfre Ermengaud dont un chapître s’intitule : « Histoire de l’aveuglement des Juifs au Nouveau Testament. A quel point le diable les tient, (…). » Le texte présente le diable comme un compagnon constant des Juifs. A l’aveuglement s’ajoute la surdité.
Breviari d'amor
L’art au XIII° siècle se fit le relais de cette croyance populaire de la collusion et complicité des deux figures, objets de répulsion absolue, notamment dans la littérature provençale qui utilisa le mot de synagoga pour désigner le lieu de réunion des sorcières. Apparaissent alors, des représentations de degrés plus vulgaires et infâmantes comme les oreilles de cochon à la place de cornes (non moins infâmantes), des gargouilles immondes comme celles accrochées à la corniche de la cathédrale de Colmar. Il y a confusion entre les termes du sabbat des sorciers, et du Shabbat jour sanctifié du repos chez les Juifs. Et encore aujourd’hui, combien sont nombreux ceux qui font la confusion, comme une trace laissée dans les consciences. d) Le Concile de Trèves (1310) et les prises de position de l’inquisiteur Nidder en 1337, reprennent tous ces thèmes et serviront largement dans toute l’Europe les stratégies de l’Inquisition ; la peste qui dévastera l’Europe de 1347 à 1350 fournira son prétexte, et achever le travail de séparation, de stigmatisation et de diabolisation des Juifs vis-à-vis de la population chrétienne. 3) Les motifs animaliers : Sans entrer dans les détails, des motifs animaliers figurent le Judaïsme, il faut y voir le symbolisme encore christique du choix des animaux, où le judaïsme doit apparaître comme lent, lourd et accroché à l’Ancienne Alliance révolue au regard du Christianisme, vivant dans l’obscurité, … Ainsi, trouvons-nous en bonne place, la chouette [24] ou le hibou, l’autruche, [25], la Hyène, [26], l’aspic et le basilic, ainsi que la tortue [27], et dans les pays germaniques, la truie (gargouilles de Colmar).

Erfurt

[1] « Sans doute des descendants des captifs Juifs réduits à l’esclavage, que l’armée de Pompée ramena de la guerre de Judée (63 av.èc), puis en 66-70 ap.èc, et 131-135 ap.èc) [2] Vestiges du 1er et II° siècle, à Rome et Ostie. [3] A Rome les catacombes juives sont visibles. [4] Conversion du Diacre Bodon, confesseur de Louis le Pieux - de Vecelin, chapelain du duc Konrad, cousin de l’Empereur Henri II, en 1005 - de Renaut, duc de Sens, en 1015 - [5] Du groupe des 26 manuscrits anglais, (N°6 Rachi). [6] Auteur de cinq Epîtres antijuives adressées à l’Empereur, en 824 et 828, virulents mais exempts d’accusations infâmes. Le plus virulent (Ad cumdem imperatorum de insolentia judaerum (827) valut à Agobart un exil royal à Nantua dans le Jura. [7] Auteur du « Liber contra judaeos » « Livre contre les Juifs » qu’il présenta au Concile de Paris en 845, il préfigure les stéréotypes de l’antijudaïsme médiéval assimilant les Juifs au démon, à un « peuple immonde et mauvais ». [8] Les évangélistes sont représentés imberbes, un livre à la main. Les Juifs sont barbus. [9] (Stuttgart, LB, Cod.hist. 2°415, f°19v et f°83v ; vers 1161) notes de JF Faü [10] Bibliothèque Municipale de Verdun (Meuse). [11] « L’Image des Juifs dans l’art chrétien médiéval » de Jean François Faü, éd. Maisonneuve et Larose. [12] « La Rouelle rapporta, dans la seule sénéchaussée du Rouergue, de un à dix deniers tournois d’argent par famille. » JF Faü, p 89. [13] Sur un Ivoire ( 1070-1080) provenant de l’Italie du Sud et conservé à Berlin (Berlin-Dahlem, Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz, Inv. N° 589), l’Eglise d’un côté richement vêtue près de laquelle se trouve Longin le centurion romain qui perce de sa lance le corps du Christ, pour abréger ses souffrances, et la Synagogue en vieille femme en haillon chassée par un ange, près de laquelle se trouve Stefaton, le centurion porte-éponge qui donne à boire du vinaigre au Christ. [14] Sur deux reliefs en ivoire de la fin du XI° siècle, au Musée de Copenhague, Danemark [15] (Vienne, ÖN, Cod. Ser. Nova 2700, 300 ; vers 1160). Emile Mâle, « l’art religieux du XIII° siècle en France » [16] Emile Mâle, « l’art religieux du XIII° siècle en France », Paris 1923, op.cit, p 193-194. [17] BNF, f°150. [18] Egalement, sur le médaillon central de la Crucifixion avec Marie et Jean, à la Cathédrale de Fribourg-en-Brisgau. [19] Idem, Jean-François Faü, Description d’un des Médaillons autour du médaillon central de la Crucifixion avec Marie et Jean, à la Cathédrale de Fribourg-en-Brisgau. [20] « La première, qui date du début du IX° siècle, se trouve dans un manuscrit, provenant de la France (Trèves, Stadtbibliothek, ms.31, f° 7v) (..). Un ange garde l’entrée de l’Eglise, un démon celle de la Synagogue qui tire avec une corde des Juifs égarés sans signe distinctif. « L’image du Juif dans l’art chrétien médiéval », de JF Faü, éd. Maisonneuve et Larose. [21] « L’image du Juif dans l’art chrétien médiéval », de JF Faü, éd. Maisonneuve et Larose. [22] Idem, JF Faü, p72, 73. [23] De la ville de Béziers, Languedoc Roussillon. [24] « (...) pilier du transept nord de l’église Notre-Dame à Dijon, qui regarde en direction d’un des quartiers juifs de la ville. » JF Faü, p 79. [25] « (…) Sur un soubassement du portail central, cathédrale de Sens, l’autruche est montée par un petit bonhomme. » JF. Faü, p 81. [26] « Le Bestiaire » de Pierre de Beauvais assimile le judaïsme à « cet animal répugnant ».,.. symbole de luxure [27] « Dans l’art italien et savoyard de la fin du XIV° siècle. », JF Faü, P 84.

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