Paul Claudel (1868-1955), « Strasbourg », poème, 1913 (Corona benignitatis anni dei, 1915). Dans une conférence de 1915, son auteur précisait à propos de ce poème : « Il fut écrit à la suite d’un voyage que je fis en 1913 dans cette ville infortunée et se trouve tout imprégné du grand sentiment de tristesse que j’en avais rapporté. Sous l’image des statues célèbres, « la Synagogue et l’Eglise » qui ornent le portail du Sud, j’ai voulu opposer à la conseillère des nostalgies et des regrets inutiles la personnification du courage lucide qui se mesure avec le devoir immédiat et présent.»
Les deux portes méridionales de la cathédrale de Strasbourg, c. 1230
Strasbourg
[…]
Dangereuse Nymphe d’autrefois ! ah, qu’on lui bande les yeux,
Qu’on l’attache fortement à la porte du Saint-Lieu,
Comme cette figure sur le porche latéral qu’on appelle la Synagogue ! [1]
Ah, qu’on lui rompe son long dard pour notre perte analogue
A l’aiguillon même de la mort dont l’Apôtre nous a parlé,
La grande femme folle et vague avec son visage de fée,
Plus vaine que l’eau qui fuit, plus que le Rhin flexueuse,
Elle ne laisse point tomber son arme tortueuse,
Et montre, les yeux bandés, sa charte où il n’y a rien écrit.
Mais de l’autre côté de la Porte est debout avec mépris,
Sans relâche la tenant sous ses yeux froids qui sont faits pour voir,
L’Eglise sans aucuns rêves qui ne pense qu’à son devoir,
L’Eglise qui est appuyée sur la croix et non ce jonc illusoire,
Héritière des jours passés, forte maîtresse d’aujourd’hui :
Et antiquum documentum novo cedat ritui.[5]
[…]
Moins tu nous laisses d’avenir, plus le passé fut cruel,
Plus grande en nous la douceur amère des choses réelles !
Notes
1. « L’une, me dit-on, est l’Eglise, l’autre la Synagogue, mais pourquoi ne me serait-il pas permis de voir en l’une la Foi et dans l’autre l’Imagination ? » (P. Claudel, L’Œil écoute, chapitre consacré à la cathédrale de Strasbourg).
2. Claudel a déjà traduit littéralement dans le même recueil ce passage de l’hymne Pange lingua : « Le rite nouveau succède à l’antique document ».
2. Claudel a déjà traduit littéralement dans le même recueil ce passage de l’hymne Pange lingua : « Le rite nouveau succède à l’antique document ».
Un grand merci à Théâme ("La cathédrale de Strasbourg dans deux poèmes français du XXe siècle", 20.5.2014).
Voir aussi: Évangile et Liberté